G. Huerlimann u.a. (Hg.): Worlds of Taxation

Cover
Titel
Worlds of Taxation. The Political Economy of Taxing, Spending, and Redistribution since 1945


Herausgeber
Hürlimann, Gisela; Brownlee, W. Elliot; Ide, Eisaku
Reihe
Palgrave Studies in the History of Finance
Erschienen
Cham 2018: Palgrave Macmillan
Anzahl Seiten
357 S.
von
Vivien Ballenegger

Ce recueil d’articles porte sur l’histoire de la fiscalité internationale après la Deuxième Guerre mondiale et vient compléter la collection de la maison d’édition Palgrave Macmillan consacrée à l’étude pluridisciplinaire de l’histoire financière. Aux origines de cet ouvrage collectif se trouvent trois colloques organisés aux États-Unis et au Japon entre 2014 et 2015, auxquels ont participé douze des treize autrices et auteurs de l’ouvrage.

Si l’on dispose de nombreuses études sur l’histoire fiscale des principaux pays économiquement développés jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, force est de constater que la seconde partie du XXe siècle est moins bien connue. Worlds of Taxation s’insère donc avantageusement dans le champ historiographique. Du point de vue théorique, l’ouvrage collectif s’inscrit dans le renouveau que connaît ce champ d’études depuis le milieu des années 1990, au croisement de l’histoire économique, financière et sociale et de la sociologie financière, avec une forte dimension comparative. Les apports du courant institutionnaliste de la sociologie politique sont généralement combinés avec la dimension sociale et culturelle, par exemple avec le degré de consentement à l’impôt. Le propos historique qualitatif est accompagné de pondérations quantitatives. Un accent particulier est mis sur le niveau de redistribution des systèmes fiscaux analysés. Certaines contributions intègrent également dans leur analyse le dispositif de protection sociale du pays considéré. Les treize contributions couvrent les États et les périodes suivantes: Etats-Unis (1900–2000), France (1945–1980), Japon (1945–2017), Suisse (1916–1963), Danemark (1900–2000), Suède (1940–1970), Espagne (1976–1982) et Grèce (1955–1989).

À la lecture de ces différents cas d’études, trois tendances communes se dégagent que j’aimerais résumer ici. J’évoquerai ensuite la deuxième contribution qui présente un caractère singulier, puisqu’elle propose un modèle explicatif d’ensemble. Enfin, je discuterai la façon dont deux variables explicatives sont convoquées, celles de la soustraction fiscale et de l’opinion publique.

La première tendance qui se dégage est la suivante: la Seconde Guerre mondiale induit un mouvement rapide vers une forte progressivité et les décennies suivantes sont marquées par un mouvement en sens contraire. Aux États-Unis et au Danemark, les taux marginaux maximums montent à 90 %, puis sont progressivement réduits durant les décennies qui suivent la guerre (A. Hertel-Fernandez, C. J. Martin, pp. 32, 34; W. E. Brownlee, pp. 159–173; S. Mozumi, pp. 190–206). Cette tendance se dégage également dans le cas suisse, avec la contribution de G. Hürlimann qui propose une synthèse de la fiscalité directe à l’échelon de la Confédération depuis 1916 et apporte de nouveaux éléments, notamment pour la fin de la période traitée, moins bien connue (pp. 270–290).

Une deuxième tendance que l’on peut relever a trait à la fiscalité indirecte et plus particulièrement aux raisons de l’introduction de nouveaux impôts sur la consommation en Suède et au Danemark à la fin des années 1950 et durant les années 1960. En Suède, une sales tax est introduite en 1959. Cette ponction est ensuite progressivement renforcée au détriment de l’impôt sur le revenu, puis remplacée, en 1969, par un modèle plus avantageux pour les entreprises: la TVA. G. Lantz souligne que ces réformes correspondent à la fois à la volonté des dirigeants sociaux-démocrates de financer les dépenses sociales et à la volonté des conservateurs de déplacer la charge fiscale vers les taxes indirectes (pp. 59–64). Au Danemark, une TVA est introduite en 1967. En combinant les trois contributions traitant de ce pays, on peut émettre l’hypothèse qu’en contrepartie de la TVA, deux autres dispositions ont été décidées au même moment: la réduction de l’impôt sur les bas revenus et l’imposition des revenus à la source (A. Hertel-Fernandez, C. J. Martin, p. 34; I. W. Martin, p. 87; S. Kurachi, p. 103). Ces éléments invitent à des recherches complémentaires, par exemple pour tenter de mesurer plus finement, dans ces deux pays, les ressorts des compromis politiques qui ont permis l’introduction de la TVA. Un premier aspect à éclairer serait peut-être l’évaluation de l’ampleur des déductions accordées aux bas revenus en les rapportant à l’inflation.

Ce dernier aspect m’amène à la troisième tendance que j’aimerais souligner: l’augmentation de la charge fiscale des bas revenus durant la seconde partie du XXe siècle. Cette dimension est relevée dans plusieurs contributions. Elle est due avant tout au fait que les barèmes d’imposition ne sont pas, ou seulement insuffisamment, adaptés à l’inflation. Cela a pour conséquence que pour un même revenu à parité de pouvoir d’achat, la charge fiscale augmente (progression à froid). Cette évolution peut alimenter un mécontentement vis-à-vis de la fiscalité. Dans certains cas, cette colère est instrumentalisée par les forces politiques représentant le patronat pour défendre des abattements fiscaux beaucoup plus larges. Un mécanisme de ce type est décrit dans les contributions traitant des États-Unis (W. E. Brownlee, p. 159) et de la Suisse (G. Hürlimann, pp. 278–281, 287–288). On peut imaginer qu’une logique similaire est aussi à l’œuvre avec le Progress Party, fondé en 1972 au Danemark et dont le but est la suppression de l’impôt sur le revenu (S. Kurachi, pp. 103–107).

J’en viens à la contribution écrite par A. Hertel-Fernandez et C. J. Martin, qui propose un modèle explicatif de l’évolution des systèmes fiscaux nationaux pour le XXe siècle (pp. 17–48). Leur modèle ramène l’explication des systèmes fiscaux nationaux classés en deux grandes catégories, au degré d’institutionnalisation des relations entre les acteurs économiques et politiques dont les intérêts sont antagonistes. Cette contribution ambitieuse représente à mon sens une stimulante incitation à mener de nouvelles études de cas approfondies qui permettraient peut-être de valider le modèle proposé ou éventuellement d’y apporter certaines nuances.

Finalement, j’aimerais discuter de l’utilisation de deux variables explicatives mobilisées dans plusieurs contributions: la soustraction fiscale et l’opinion publique. La moitié des contributions de l’ouvrage évoque la soustraction fiscale et rappelle l’importance de sa prise en compte. Par contre, les estimations concernant son ampleur restent rares. Pourtant, lorsqu’une telle estimation est donnée, on comprend immédiatement l’intérêt de mieux la documenter: la contribution traitant du cas français indique qu’elle se situe en 1952 à 20–25 % des impôts sur le revenu perçus (F. M. B. Lynch, p. 136). La seconde variable est mobilisée dans plusieurs contributions à travers l’utilisation de sondages d’opinion, dans le but de donner un indice de l’avis de la population sur la fiscalité. Il aurait toutefois pu être intéressant de discuter des limites de ces sondages et peut-être de fournir quelques indications sur les instituts à leur origine, s’ils ont été réalisés sur commande et, dans un tel cas, quels en sont les commanditaires.

L’ouvrage collectif Worlds of Taxation représente une contribution incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire de la fiscalité internationale après la Seconde Guerre mondiale. Ce livre contient également d’utiles indications relatives à l’histoire des inégalités et même aux systèmes de protection sociale. Finalement, il ouvre de stimulantes pistes de recherches et appelle à la réalisation de nouvelles études de cas approfondies.

Zitierweise:
Ballenegger, Vivien: Rezension zu: Huerlimann, Gisela; Brownlee , W. Elliot; Ide, Eisaku (Hg.): Worlds of Taxation. The Political Economy of Taxing, Spending, and Redistribution since 1945, Cham 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (1), 2020, S. 164-166. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00054>.

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